En une ligne, les plants OGMs alimentaires sont soit des plantes avec un
gène de résistance à un herbicide pour rendre le désherbage plus facile, soit
des plantes qui possèdent un gène de production d’hormones insecticides, soit
une combinaison des deux gènes.
Ce dernier mois, l’actualité sur les
organismes génétiquement modifiés alimentaires est très riche et plutôt
passionnée. Je souhaite tenter d’y voir plus clair.
- En commençant par écarter d’un revers de la main les excès liés à l’actualité récente conduisant à exacerber les passions de parts et d’autres de l’échiquier.
- Une fois cela fait, je veux poser trois problèmes fondamentaux de principe liés aux OGM alimentaires.
- Enfin, avoir une approche moins théorique pour aller dans le concret et l’exemple : quels résultats pour les OGMs à ce jour ?
Commençons par traiter de
l’actualité du moment (Septembre-Octobre 2012). L’étude récente menée par le Pr
Gilles-Eric Séralini est vivement critiquée pour de nombreuses raisons. Je suis
tout à fait d’accord sur les critiques notamment concernant le tapage
médiatique et l’utilisation d’images choquantes de rats atteints de tumeurs –
que je ne souhaite délibérément pas reproduire ici – qui poussent à un
raccourci simpliste loin de la Science auquel je me suis moi-même laissé
prendre. Ça c’est pour la forme. Pour le fond, il vaut la peine de reprendre
les critiques fréquemment opposées au sujet de cette étude :
- L’échantillon de 10 rats par lots est très faible. Certes c’est absolument vrai, mais absolument identique aux échantillons utilisés par les producteurs d’OGM. Ce mêmes tests qui n’utilisent que 10 rats par lots (parfois moins) conduisent à des conclusions d’innocuité et donc un feu vert pour la commercialisation. Alors pourquoi le un poids deux mesures ? Sur l’échantillon simplement, ridiculiser la taille de l’échantillon de la recherche de Séralini revient – si l’on est honnête - à ridiculiser de manière identique les autres recherches et donc à remettre en cause leurs résultats aussi.
- La durée d’étude classique et absolument notoire utilisée pour les études conduites par les producteurs d’OGM est de 90 jours. La durée de l’étude de Séralini est 2 ans soit la vie entière des rats.
- A première vue, les résultats - accélération nette de l’apparition des cancers versus le lot de contrôle[1] - devrait conduire à une approche sceptique et saine de vérification, mais surtout à un effort de reproduire cette étude afin d’en avoir le cœur net et de l’approfondir. C’est d’ailleurs ce à quoi l’ANSES[2] s’attèle en ce moment avec des résultats prévus fin octobre 2012. En revanche, l’EFSA s’est empressée d’émettre un pré-avis négatif sur l’étude de Séralini or l’on sait combien les conflits d’intérêts[3],[4] sont notoires au sein cet organe européen.
En tentant la raison, développons trois
points fondamentaux qui vont à l’encontre du projet OGM tel qu’il est à ce
jour. Le premier concerne la complexité de tout système agricole qui n’est pas
prise en compte par la technologie OGM. Le second concerne la logique
« macrophage » qui rend les agriculteurs captifs sur le plan
économique et sur le plan agricole. Le troisième traite de la mauvaise foi
notoire de Monsanto, que l’on doit prendre en compte car c’est le principal acteur
du monde OGM alimentaire avec 90% du marché, mauvaise foi qui n’est pas un gage
de bonne garantie pour le futur des OGMs.
Sur le premier point donc,
l’écologie repose sur une imbrication de systèmes fragiles, complexes et
dynamiques dans lesquels chaque élément interagit avec chaque autre élément.
L’équilibre instable de la nature est constamment déséquilibré, pour être constamment
rééquilibré par des mécanismes naturels dont le principal est le celui de
l’adaptation par sélection naturelle. (Ce n’est, pour écarter certaines
critiques, pas une vue spécialement romantique ou belle de la Nature, car la
manière dont les équilibres se rétablissent est souvent par l’éradication des
individus ou éléments conduisant au déséquilibre.) Or l’idée des OGMs
alimentaires repose sur un autre postulat plus simpliste qui ne considère pas
l’environnement agricole comme un système mais plutôt en isolation. Sous ce
postulat, les interactions extrêmement complexes et subtiles – qui incluent les
adaptations propres aux plantes - sont ignorées pour plutôt se baser sur des
principes simples et peu fins : un insecte néfaste ? Il faut le tuer
via un insecticide unique. Une mauvaise herbe (appelée adventice) ?
Utilisons un herbicide pour s’en débarrasser. Or les OGMs nous sont vendus
comme la pointe de la pensée biotechnologique[5].
Nous verrons par la suite que ce n’est pas le résultat à court terme qui est
contesté : les insectes et herbes ciblées sont bel et bien éliminés comme
voulu : à court terme seulement… Ce point, le plus fondamental, nous
amènera à examiner un phénomène implacable et simple à comprendre: l’émergence
d’insectes résistants ou d’adventices résistants, conduisant à une
« course aux armements » entre les géants de la chimie et ces
super-plantes et super-insectes. En effet, à court-terme, les
herbicides/insecticides fonctionnent remarquablement, mais après quelques
années des plantes et insectes résistants apparaissent (s’adaptent) réduisant à
néant le principe même des OGM en question. Remarquez que je ne mentionne pas
l’ombre d’un cancer ou d’une allergie qui n’ont effectivement pas du tout été
prouvées à ce jour[6], mais bien d’une chose
plus fondamentale encore, ce même pour quoi les OGM sont faits : la lutte
contre les insectes ravageurs et les adventices.
Autre point fondamental : la
logique « macrophage » autant d’un point de vue économique qu’agronomique.
Economique puisque les producteurs
d’OGM alimentaires déposent des brevets sur les plants OGMs, ce qui implique
que les agriculteurs doivent acheter des licences pour les graines et ont
l’interdiction formelle de re-semer d’une année à l’autre. Au lieu de re-semer
comme cela est fait depuis des lustres, ils doivent dorénavant acheter les
semences chaque année. D’autre part, l’adoption de plants OGM rend les
agriculteurs captifs au géant qui détient le monopole : en effet, l’intérêt
des semences OGM est leur gène de résistance au désherbant ; le maïs par
exemple doit être acheté au chimiste, en plus du désherbant particulier auquel
ce maïs résiste, fournit par le même chimiste. C’est une poule aux œufs d’or.
Logique macrophage agronomique, avec
le problème de la dissémination. Il est naturel que les semences OGM sous
licences se propagent dans les champs voisins au gré des vents. Si le champ
voisin est un agriculteur conventionnel – non OGM – et qu’il reçoit de façon
naturelle quelques semences OGM d’à côté, il est alors susceptible d’être pourchassé
au titre de vol d’un produit sous licence[7].
De plus, les variétés
conventionnelles cultivées de nos jours ne proviennent elles pas déjà de
centaines d’années de sélection artificielle menée par les agriculteurs qui ont
tiré profit du mécanisme de l’évolution pour créer des variétés parfaites pour
le lieu de plantation, pour ensuite partager les semences obtenues? Quel
contraste avec un achat de licences utilisables qu’une année, achetées auprès
d’un unique chimiste (qui détient 90% du marché OGM).
Dans les fondamentaux, le dernier
point fondamental est de s’intéresser de près aux acteurs des OGM :
sont-ils de confiance ? Monsanto produisant 90% des OGM, analyser les OGM
revient à s’intéresser de près à Monsanto, en tout cas au moment où ce texte
est écrit. Les individus comme les entreprises sont jugées aux actions qu’ils
entreprennent. Certes les choses sont dynamiques et les gens changent.
Cependant, lisez en diagonale cet article[8]
paru dans Le Monde qui illustre le passif du géant. C’est édifiant non ? PCB,
agent orange, dioxine, OGM, hormones de croissance, herbicides, tous ces
scandales sanitaires ont une seule et même origine : Monsanto. Affirmation
emblématique de l’esprit de la firme : « Ce n’est pas à Monsanto de garantir la sécurité des aliments
transgéniques, a déclaré en octobre 1998 Phil Angell, le directeur de la
communication de la multinationale. Notre
intérêt, c’est d’en vendre le plus possible. Assurer leur sécurité, c’est le
job de la FDA[9]». Très actuel et quelque
peu ironique, car Obama a nommé en 2009 Michael Taylor à la tête de la FDA, le
même Michael Taylor qui fut Vice-président des Affaires Publiques de Monsanto
de 1998 à 2001[10].
Il ne faut surtout pas mélanger
plusieurs sujets : le problème n’est pas dans la logique de recherche de gros
profits de Monsanto. C’est naturel pour une entreprise. L’énorme problème est la
recherche de profit « à tout prix ». Il est dans le manque de
garde-fous et de régulation, permis grâce aux millions investis par le chimiste
dans le lobbying et la propagande
destinée au grand public. Les exemples sont innombrables mais celui de la FDA mentionné
ci-dessus est déjà éloquent. Dans ce contexte l’ancrage dans le principe de
précaution de l’UE et particulièrement de la France prend toute sa dimension.
Après ces propos plutôt théoriques
concernant la complexité de l’écologie, la logique macrophage d’un point de vue
économique (agriculteurs captifs de licences annuelles) et agronomique (monopole
sur les semences OGM et herbicides), et le passé peu reluisant de Monsanto, il
convient de vérifier quelles sont les promesses offertes par les OGMs et
d’examiner si les promesses sont tenues dans les faits. Pour éviter l’écueil du
préjugé, faisons abstraction des analyses précédentes : place aux
résultats ! L’avantage principal des OGM réside dans leur résistance aux
herbicides et/ou leur production de substances insecticides. Promesses
tenues ?
Le phénomène de résistance est
extrêmement puissant et rapide, que ce soit pour les adventices ou les insectes.
Via l’adaptation par sélection naturelle, s’établit une course aux armements
permanente entre espèces. Les espèces cibles s’arment contre leurs parasites,
qui eux-mêmes s’arment de plus belle. C’est l’exemple classique de la
co-évolution qui est à l’œuvre.
Côté insectes, plusieurs espèces deviennent
résistantes aux pesticides produits par les OGMs. En 2011 la chrysomèle des
racines du maïs devient résistante.[11] Le CNRS le
confirme et indique que c’est loin d’être résolu par Monsanto (j’extrapole,
mais lisez la conclusion[12]
de leur article c’est bien çela que ça veut dire). Le phénomène est bien connu
de Monsanto[13]. Leur idée de créer des
OGM toujours plus complexes pour combattre ces « super-insectes » est
très peu clairvoyante car la même chose aura lieu avec des « super-super-insectes ». A moins
qu’il ne s’agisse là d’une infinie vache à lait pour le chimiste?
Côté mauvaises herbes, les adventices deviennent résistants
au désherbant[14]. C’est un phénomène graduel
notoire. Par exemple, Le Figaro titre au 25 mai 2012 « Les OGM ont perdu la guerre contre les
mauvaises herbes[15]»
et l’on peut y lire que aux E.-U.d’A., 4 espèces sauvages d’adventices sont déjà
résistantes à des doses de désherbant quatre
fois supérieures à la dose régulière, et 380 sont résistantes à une dose moindre.
C’est pourquoi les champs OGM induisent à moyen-terme une augmentation nette et
documentée de l’utilisation d’herbicide nécessaire. Une aubaine pour la firme
américaine mais une calamité pour l’environnement. Un rapport récent[16]
montre que les champs OGM résistants aux herbicides ont d’abord (1996-1998)
permis une diminution annuelle de 1.2%, 2.3%, et 2.3% de l’épandage
d’herbicides ce qui dénote une efficacité initiale. Ensuite les champs ont eu
besoin d’une forte augmentation de 20% en 2007 et de 27% en 2008 traduisant
l’échec à moyen-terme. De manière plus globale il apparaît que le taux de
glyphosate épandu par acre a nettement augmenté que ce soit pour le maïs, coton
ou soja. Un autre source corrobore : «Les OGM ont fait exploser la
consommation de glyphosate: elle est passée dans les champs de maïs de 1,8 million
de tonnes en 2000 à 30 millions de tonnes en 2012.[17]»
Promesses non tenues donc. L’introduction
des OGMs, présentée au grand public comme nécessaire et inéluctable, est hors-sujet
et à contre-courant des problématiques à moyen terme de la société agricole.
Par exemple, en examinant point par point chacun des objectifs de la nouvelle
Politique Agricole Commune [18]
- qui ne peut être qualifiée de particulièrement écolo - la balance penche clairement
en défaveur des OGMs. Non par idéologie mais par simple examen des faits.
Sécurité alimentaire ? La position de l’Europe et de la France est celle
d’un moratoire justement pour raison de sécurité alimentaire. Gestion
durable ? Le phénomène de résistance des insectes et adventices indissociable
de celui de l’augmentation graduelle mais certaine de l’utilisation des
herbicides ne répond clairement pas à une logique durable ni écologique.
Sur une note positive, mentionnons
le plan Ecophyto 2018[19]
auquel la France adhère, qui a pour objectif une réduction de 50% de
l’utilisation des pesticides à atteindre en 2018. L’INRA a fait des études pour
examiner les meilleures stratégies pour atteindre cet objectif[20] ?
Les conclusions sont très encourageantes et recentrent l’agriculture en tant
que métier complexe au cœur de la solution durable, et montrent que des
solutions adéquates existent et son possibles.
[1] Une amie PhD a revu l’étude en détail et a elle
aussi – comme nombreux autres commentateurs - conclut à un article de recherche
de qualité moyenne voire de piètre qualité selon elle. C’est également elle qui
m’a permis de déchiffrer les résultats et ainsi d’écrire qu’il s’agit d’une accélération nette de l’apparition des
cancers. Notez qu’affirmer qu’un prise d’OGM induit une accélération de l’apparition des cancers est différent d’affirmer
qu’une prise d’OGM cause une
apparition de cancer. Son intérprétation est que certains potentiels inhibiteurs du cancer ne sont pas exprimés et donc permettent au cancer (voués à apparaître notamment dans cette souche de rats) de se développer plus rapidement.
[5] Certes, la production d’OGM elle-même est assez
complexe, mais l’utilisation finale est absolument basique.
[6] Je suis absolument
favorable à ce que des recherches long terme de type Séralini et al soient
menées, mais je suis aussi d’accord sur le fait qu’à ce jour rien n’est prouvé
(ni allergies ni cancers).
[7] Sur le site du géant de la chimie ils expliquent cela selon leur propres
termes[7]
en parlant de « voleurs » et en minimisant le nombre de cas, quand
Wikipedia montre des chiffres[7]
plus élevés. Bien entendu nombre de ces procès sont liés à des agriculteurs qui
ont tentés de re-semer d’une année sur l’autre, ce qui est un vol de licence si
l’on accepte le principe de la licence.
[9] The New
York Times, 25 octobre 1998.
[10] Cela fait pas mal de bruit avec une pétition qui va atteindre les 75,000
signatures pour obtenir la démission de Mike. http://www.washingtonpost.com/blogs/blogpost/post/monsanto-petition-tells-obama-cease-fda-ties-to-monsanto/2012/01/30/gIQAA9dZcQ_blog.html
[15] http://www.lefigaro.fr/environnement/2012/05/25/01029-20120525ARTFIG00710-les-ogm-ont-perdu-la-guerre-contre-les-mauvaises-herbes.php