mercredi 24 août 2011

Un vin rouge qui débaroule le cerveau!


Bon, c'est sûr que ça (cf photo ci-dessus), ça remplacera jamais un bon jus d'orange frais matinal... Et malgré ce que ce sublime montage suggère, il ne s'agit pas dans cet article de parler des lendemains difficiles, ni même de vin à dire vrai.

Voyez plutôt: considérez un scientifique au nom poissonneux, Frédéric Brochet par exemple. Ce petit malin convie 57 connaisseurs de vins se lèchant les babines à la perspective d'une séance de dégustation sympathique. Deux verres, un verre de blanc et un verre de rouge sont au programme. Ah oui, un détail: le rouge est en fait... le même blanc, teinté avec un colorant inodore et sans goût!!!

Résultat? Tous, oui tous les 57 connaisseurs, décrivent le verre de rouge avec du vocabulaire exclusivement réservé au vin rouge. En un mot, tous sont persuadés que leurs sens boivent du rouge. Je répète, différemment: pas un seul des testeurs n'a remis en cause le verre de rouge comme n'étant pas rouge. C'est fou non?

On prend les mêmes, et on recommence. (Ca vous fait penser à certaines crises financières passées? C'est normal...). Toujours deux verres de rouge, et du vrai cette fois. Toujours des vrais connaisseurs de vin. Un Brochet. L'anguille sous roche? Il s'agit en fait d'un unique vin rouge moyen, cette fois déguisé soit dans une bouteille de pauvre vin de table soit dans une bouteille de grand cru. A nouveau, nos attendrissants connaisseurs apportent leur expertise: pour le vin issu de la bouteille de grand cru, ils utilisent des qualificatifs comme "agréable, boisé, balancé, complexe" quand celui présenté dans la bouteille de vin de table est qualifié de "faible, court, léger, plat". 40 des connaisseurs ne jurent que par le supposé grand cru et seulement 12 testeurs naviguent à contre courant et élisent le vin issue de la bouteille moche.

Première remarque, c'est que j'aurais A-DO-RE être là au moment où le Brochet annonce à ces messieurs dames les connaisseurs de quoi il retourne.

La seconde remarque fut: "Trahison!" J'ai immédiatement pensé à un certain repas "gastronomique" offert par mon ami Jon en compagnie d'autres excellents amis, où chaque fromage étaient mieux présentés les uns que les autres, sans parler des boissons. Peut-être est-il lui aussi un Brochet, peut-être a-t-il masqué de l'écoplus par des belles paroles et une présentation parfaite?!

Troisième remarque: à vrai dire le coeur du sujet est moins léger et vivant que ça. Car je veux en fait aborder la neuroscience ici, et l'évolution.

On comprendra que la raison qui se cache derrière cette erreur de jugement qui semble grossière a priori, est à chercher du côté de l'héritage dû à l'évolution et à notre cerveau. Pour tenter de faire court, l'évolution a lieu sur des millions d'années, pour partir d'une bactérie il y a plusieurs milliards d'années et pour lentement buissonner vers des formes de vie de plus en plus complexes et arriver à des résultats que l'on voit: l'ensemble des espèces vivantes que l'on côtoie. Et l'espèce humaine fait partie intégrante de ce processus d'évolution. Mais il y a un énorme décalage d'échelle temporelle. En effet, alors que l'évolution façonne les espèces sur des millions d'années, on sait bien que l'espèce humaine a depuis quelques milliers d'années fait des progrès extraordinaire. La découverte du feu, fabrication des outils, création des sociétés, puis une croissance plus qu'exponentielle depuis des centaines d'années grâce à la technologie et au savoir. Il apparaît alors que l'Homme a amélioré sa vie dans un laps de temps de environ 2 000 ans, mais en ce même temps l'Evolution n'a... rien fait du tout! C'est trop court 2 000 ans pour que l'Evolution ne change l'Homme.

En suivant ce raisonnement: l'Homme se trimballe des héritages désuets- aussi bien biologiques que comportementaux - façonnés par l'évolution et qui favorisaient la survie de l'Homme à l'époque des smilodons. On peut donc ainsi avoir une lecture (passionnante à mon sens!) évolutionniste des comportements & de la biologie actuelle de l'Homme.

Pour conclure, deux commentaires qui se basent sur cette lecture évolutionniste des comportements humains. D'abord, cette expérience autour du vin démontre à quel point la vision est un sens extrêmement important. Pensez, à l'époque du smilodon, à l'importance de la mémoire visuelle... Je dois me souvenir du chemin parcouru pour trouver tel ou tel aliment, pour éviter tel ou tel falaise ou danger, pour reconnaitre (avant même l'odorat) un aliment ou un animal menaçant etc. Pour ce type de raison (assez simplistes et simplifiées ici), l'Homme a (eu besoin d') une mémoire visuelle phénoménale qu'on sous-estime trop souvent... Inversement et pour les mêmes raisons, l'Homme a une mémoire des chiffres, des lettres et des mots très faible: à quoi sert de mémoriser ce genre de codes dans un monde pleins de smilodons? Non, décidément, les images c'est mieux.*

Deuxième remarque, toujours liée à l'ami Brochet: contrairement à ce qu'on peut croire, notre perception sensorielle n'est pas parfaite et objective avec par exemple nos yeux qui joueraient le rôle d'une caméra infaillible. Non, non et non. Notre perception est entièrement intégrée avec notre cerveau. Je veux dire que chaque stimulus perçu est immédiatement
  • comparé avec ce que l'on connaît déjà à ce sujet, notre mémoire, nos expériences passées
  • confronté avec ce que perçoivent simultanément les autres sens - goût ou l'odorat (avec comme on l'a compris avec le vin une domination certaine et absolue de la vue sur tous les autres sens)
L'interprétation de chaque stimulus est, à l'aide de ces comparaisons et confrontations, immédiatement réajusté en temps réel pour faire sens - au prix d'une objectivité jamais atteinte - mais au service d'une intelligence phénoménale et absolument fascinante.

*En guise d'anecdote,( et qui sait d'ouverture pour un autre article), c'est en utilisant cette maîtrise du visuel et en remplaçant les chiffres/lettres par des images que les surdoués de la mémoire comme Kim Peek ("Rain Man") ou d'autres prodiges sont capables de mémoriser des quantités phénoménales d'information. En essence, ils ne font qu'utiliser de manière plus intelligente les atouts dont l'évolution nous a doté: la puissance des images dans ce cas.

Références.
Brain Rules, John Medina => Le livre, le site web, et l'infographie.
Article relatant l'expérience de Frédéric Brochet.

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